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éditorial de notre newsletter été 2024

L’ admission dans l’enseignement supérieur : un bouleversement subreptice

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Un des sujets proposés au bac de philosophie cette année était : l’État nous doit il quelque chose ?

La majorité des corrections immédiatement proposées par les sites et les médias spécialisés conclut à trois devoirs de l’état à l’égard de chacun : justice, intégration et éducation.

A la croisée de ces trois devoirs ainsi identifiés surgit une question aiguë et centrale, pourtant pour l’instant estompée dans la campagne électorale : la mutation du mode d’accès des étudiants à l’enseignement supérieur.

Le report des épreuves de spécialités de terminales au mois de juin a en effet eu pour conséquence de faire basculer l’ensemble du système de sélection pour l’admission dans l’enseignement supérieur vers la primauté quasi exclusive du contrôle continu. Le seul survivant des épreuves passées à l’échelle nationale rentrant dans les dossiers Parcoursup est le bac de français. Il y a là un enjeu considérable.

La sélection à partir des notes de bulletins des élèves pose en effet question. Les notes varient d’un lycée à l’autre tandis que le recrutement des établissements d’enseignement supérieur se contente souvent de passer des algorithmes sur les notes du contrôle continu. Une forte pression s’est exercée sur les professeurs qui notaient trop sèchement ! Dans chaque lycée, élèves, parents d’élèves parfois proviseurs eux- mêmes ont demandé de ne plus attribuer des notes préjudiciables

Ainsi depuis 3 ans les moyennes de classe progressent partout de manière rapide. Les notes élevées sont de plus en plus la norme et la lisibilité des dossiers en est devenue vraiment aléatoire. On en est arrivé au paradoxe de voir dans des lycées réputés, des professeurs pratiquer une double notation : une notre pour ce que la copie mérite à leur yeux et une note bien supérieure portée sur le bulletin pour éviter de porter préjudice aux élèves dans la postulation sur Parcoursup !

Quatre années de réformes remises en cause : de la suppression des E3C au report des épreuves de spécialités.

Cet abandon des notes nationales a eu lieu en l’espace de quatre ans par des renoncements successifs aux points clefs la grande réforme de l’enseignement dite réforme Blanquer, adoptée en 2018.

Cette réforme n’a pas été sans vertus quant au choix des spécialités. Elle a donné plus de liberté et d’autonomie aux étudiants et leur permettant de privilégier les matières qui les intéressent tandis que la qualité des programmes fait une quasi-unanimité. La plateforme Parcoursup a beau être critiquée, elle confère techniquement aux étudiants une variété remarquable de choix possibles d’enseignement supérieur, bien répertoriés. Elle s’est cependant avérée contre productive quant au système de notations des étudiants.

Les étudiants qui sont aujourd’hui en deuxième année d’études supérieures se souviennent de l’épisode des « épreuves communes de contrôle continu », dites E3C. Il s’agissait de faire passer au lycéens des épreuves communes en histoire géographie, en langues, en sport, en enseignement scientifique. L’ensemble des épreuves devait avoir une dimension nationale. L’existence de sujets nationaux, de corrections de copies anonymisées au sein même de chaque établissement, d’une  harmonisation postérieure des notes, aurait dû permettre de donner aux notes leur dimension nationale d’équité.

Proposées pour la première fois en janvier 2020, en classe de première, ces épreuves ont mal tourné. Le ministère avait décidé que la date pourrait être différente dans chaque établissement et que pour éviter les fuites, les élèves n’aurait pas le droit d’emporter les sujets qu’ils venaient de traiter. Quelle erreur ! C’était faire fi de l’esprit de sel du monde étudiant et oublier les réalités des réseaux et de l’internet. Le soir même de la première journée d’épreuves, ceux qui venaient de les passer avaient photographié les sujets et les avaient déjà placés sur des blogs ou des post disponibles pour tous. Ainsi ceux qui passaient les épreuves les jours suivants savaient à quoi s’attendre. En quelques jours l’injustice des E3C a compromis leur existence. La crise sanitaire de la COVID a été l’occasion de corriger ce trouble en supprimant purement et simplement les E3C.

Restaient les 3 épreuves de spécialités.

Celle qui devait être passée en première a été supprimé en 2021, sans autre forme de procès, dans la plus grande discrétion, dans la foulée de la disparation des E3C.

Le report récent au moins de juin des épreuves de spécialités de terminale a complété ce passage à la primauté quasi absolue des notes du lycée.

On comprend bien sûr que toute réforme procède par tâtonnement par ajustement, Gabriel Attal déclarant lui-même « il faut être pragmatique et regarder ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas » Il apparait toutefois qu’en quatre ans, par le truchement de ces annulations ou reports d’épreuves, la société française a été conduite d’un système ancien d’admission à l’enseignement supérieur à un système nouveau qui n’a été officiellement voulu par personne et qui est même exactement le contraire de ce qui avait été annoncé

Dans la réforme initiale de 2018 les bulletins scolaires n’auraient dû représenter que 10% de la notation. Ils représentent actuellement prés de 90% des critères de sélection des dossiers sur Parcoursup!

L’actuel système de sélection, né de l’échec des reformes des épreuves nationales, peut- il perdurer ?

Le système ancien reposait sur le bac comme condition d’admission générale et sur le quasi libre accès à des grande filières de l’université, des BTS et des IUT. A la marge un nombre limité de filières sélectives concernait les écoles d’ingénieurs, les écoles de commerce, médicine, veto, Normale Sup et Sciences Po

Dans le système nouveau tel qu’il a émergé de fait au cours des dernières années, tout l’enseignement supérieur est devenu sélectif à des degrés divers selon les filières et les établissements. Simultanément la sélection a cessé de s’exercer sur des épreuves nationales et repose désormais principalement sur les notes attribuées par les enseignants dans les lycées. En bref et paradoxalement, en même temps que la sélection devenait générale, les critères de cette sélection se sont fragilisés en se tournant vers le contrôle continu du lycée, au gré de reformes vite programmées et vite annulées.

Les conditions d’admission dans l’enseignement supérieur sont un enjeu essentiel pour chaque lycéen, où se joue une partie de son avenir. A l’échelle historique un bouleversement vient de se produire silencieusement qui touche à la fois la mobilité sociale, les inégalités, l’insertion professionnelle, la justice, la formation de la population active

La société française a longtemps reposé sur l’école républicaine de Jules Ferry avec ses grandes épreuves écrites nationales et ses grands concours. La modernisation est certainement nécessaire. Il n’apparait cependant pas très légitime qu’une mutation aussi essentielle ait eu lieu presque subrepticement, masquée par une crise sanitaire et par l’annulation successive des différentes épreuves nationales d’une réforme mal taillée, avec un résultat insatisfaisant et sans qu’aucune loi d’orientation n’ait été adoptée et sans que l’opinion ait été appelée à se prononcer.

Une question qui peine à rentrer dans le débat public

La question n’a pourtant pas vraiment été abordée dans la campagne électorale par les différents courants politiques, chacun d’entre eux semblant pris au piège de contradictions difficilement surmontables. Les mouvements progressistes du Front populaire sont, pour certains d’entre eux, hostiles à la sélection scolaire, plutôt adeptes du contrôle continu,peu favorables aux examens et concours. Mais ils ont dès lors bien du mal à chercher la réponse à ce naufrage du système du contrôle continu qui pose pourtant vivement question en  termes  de  justice  et  d’intégration.

Les courants pro-gouvernementaux, trop associés à cette mutation majeure, ne peuvent pas facilement en constater l’échec. Par ailleurs ils considèrent que cette transformation va dans le sens d’une modernité qu’ils ne cessent d’appeler de leurs vœux. Ce rapprochement de notre accès à l’enseignement supérieur et du modèle anglo-saxon leur paraît plutôt bienvenu, même si le système existant s’est installé dans l’échec des reformes et a finalement fort peu à voir avec celui qui avait été planifié par la réforme Blanquer !

Quant aux droites elles auraient plutôt tendance à célébrer les concours et examens. Simultanément elles ne peuvent ignorer que l’autonomie croissante des établissements, la tendance à la privatisation ou au moins à la monétarisation de l’enseignement supérieur dont elles sont les promotrices, sont à la racine de la transformation qui a eu lieu. Les établissements publics étaient auparavant partie prenante d’une organisation sociale qui leur imposait des modes de recrutement relevant d’une méritocratie scolaire. Dès lors que les établissements sont devenus autonomes les critères de leur recrutement seraient à leur guise !

Alors, si l’état nous doit justice, intégration et éducation, le nouveau contexte politique n’est il pas le moment de poser frontalement la question des conditions d’accès à l’enseignement supérieur et de mettre les projets au clair sur ce sujet ?

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eleadalumni


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